Ecrivaine

A propos de cette entrevue

Quand le hasard fait bien les choses… Un samedi de Juillet 2019, je passe dans une librairie avec ma petite famille et je vois Leïla, à l’entrée de celle-ci, faire des dédicaces. Je ne sais pas du tout que Leïla a publié un roman, pourtant, elle habite tout près de chez moi et nos enfants ont été quelques années dans la même classe. Passionnée de lecture, je repars avec son livre et sa dédicace. Le ciel sous nos pas est paru aux éditions Albin Michel. Ce roman est riche d’une écriture rare et métissée. Je trouve son écriture remarquable et poétique. Au fil des lectures, je m’envole au Maroc. L’histoire me touche.

Leïla est une écrivaine engagée et j’avais envie que vous la découvriez à votre tour. Son nouveau roman “La théorie des aubergines” est sorti au début du mois. La rencontre a lieu chez elle, paradis pour passionnés de littérature. La séance est plus longue que prévu, l’échange est chaleureux et me transporte le temps d’une matinée dans un ailleurs. Les températures sont négatives mais le soleil est présent pour me faire jouer avec les ombres et la lumière.

Photographe à Besançon, j’ai réalisé ces portraits le 13 février 2021.

Pourrais-tu te présenter ? Quel métier exerces-tu ?

Je suis Leïla Bahsaïn, écrivaine, et maman de deux enfants. Divers engagements associatifs me nourrissent aussi. Pendant plusieurs années, j’ai exercé divers métiers tout en écrivant le soir. J’ai écrit des nouvelles, parfois primées et publiées. Puis mon premier roman, Le ciel sous nos pas est paru en aux éditions Albin Michel en 2019. Le deuxième, « La Théorie des aubergines », est sorti le 3 mars de cette année en librairie, toujours chez Albin Michel.

Peux-tu nous présenter ton parcours professionnel ?

J’ai fait une grande école de commerce marocaine et c’est dans le cadre d’un échange entre mon école et l’ESSEC Paris que je suis arrivée en France pour la première fois. J’avais alors dix-neuf ans. Un peu plus tard, j’ai intégré l’IAE de Besançon où j’ai obtenu un Master 2 en management. J’ai ensuite travaillé comme conseillère en insertion, comme responsable de projets en ressources humaines aussi, et mon dernier poste a été celui de directrice d’une agence de communication. Mais je suis toujours restée fidèle à ma passion pour l’écriture. Et partout où j’ai travaillé, on m’a confié des publications professionnelles : guides des métiers, brochures touristiques… Ce n’est pas un hasard, je pense. Pendant des années, j’ai écrit beaucoup de nouvelles, un genre que j’affectionne. C’est en étant primée et publiée dans des revues que j’ai décidé d’écrire un roman. Aujourd’hui, depuis la parution de mon premier roman en 2019, je me consacre à l’écriture, et à mes activités associatives dans les domaines de l’alphabétisation et de l’éducation. C’est un équilibre qui me convient.

Il n’y a pas plus grande liberté que celle que m’offre une page blanche. Cela me plaît de me risquer à cette forme de langage capable de transcender le réel, et d’exprimer l’ineffable.

As-tu toujours voulu faire ce métier ?

Je peux dire que l’écriture fait partie de mon identité. Enfant, quand on me demandait quel métier je voulais exercer, je répondais : écrivain. Une moue inquiète se dessinait sur les visages des adultes qui m’incitaient à faire des études et m’engager vers une carrière plus sûre. Au Maroc où je suis née, il y avait très peu de lieux d’accès aux livres. Ecrivain, on ne pensait pas que cela pouvait être un métier. Je me suis donc exécutée sans jamais renoncer à ma passion pour la littérature. J’ai toujours su que je voulais faire de l’écriture mon métier. Dès lors, une idée qui me rassurait était de tout absorber ; vivre, travailler, pour mieux servir l’écriture.

Que préfères-tu le plus dans ton métier ?

Il n’y a pas plus grande liberté que celle que m’offre une page blanche. Cela me plaît de me risquer à cette forme de langage capable de transcender le réel, et d’exprimer l’ineffable. C’est un lieu de vérité absolue qu’on construit, pour soi et pour ceux qui souhaitent le partager. Je ne connais pas de plus haute expression de sincérité, d’authenticité.

Quels sont les livres qui t’ont le plus marqué ?

Ils sont nombreux ! Sans famille de Hector Malot car je l’ai lu quand j’étais enfant, et que je me suis sentie en totale empathie avec le personnage de Rémi. Une Chambre à soi de Virginia Woolf. Lolita de Nabokov. Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo. Miramar de Naguib Mahfouz. Tendre est la nuit de F.Scott Fitzgerald. Et d’autres…

Quels sont tes projets en cours ?

La parution de mon nouveau roman. C’est un moment de naissance, avec toute l’intensité émotionnelle que cela induit. Il faut donc accompagner la sortie du livre, rencontrer, discuter avec ceux qui s’y intéressent. J’ai également commencé un nouveau texte…

Quelles sont tes passions ?

De toute évidence, l’écriture et son corollaire la lecture !

Une citation de Marcel Proust, Aussi le silence ne porte pas comme la paroles …

Peux-tu me donner des noms de personnes qui t’inspirent ? Et pourquoi ?

Se sont souvent des anonymes engagés dans des projets altruistes, qui m’inspirent. La gratuité totale, l’offrande… J’ai une véritable tendresse, une admiration pour la sagesse populaire et la générosité des gens modestes. Mon écriture les met à l’honneur. Sur le plan littéraire, j’ai toujours été fascinée par Romain Gary. Son parcours me conforte dans mon idée que l’écriture peut tout reconstruire.

Dans quel lieu aimes-tu travailler (bureau, café, etc.) ? Et quel type d’organisation adoptes-tu ?

Chez moi, peu importe la pièce, mais il faut que j’y sois seule. J’écris en écoutant de la musique. Avant cela, il y a une première phase, où un univers romanesque prend vie en moi, m’obsèdes tout le temps. Je n’ai alors aucune organisation. Ensuite, quand je passe à la phase d’écriture, j’écris tous les jours, plusieurs heures…

Quels sont les séries et les films qui t’inspirent ?

Je lis beaucoup et j’ai peur que ce temps de lecture me soit volé. Je ne regarde pas de séries mais je regarde des films. J’aime les univers de certains réalisateurs : Terrence Malick, Youssef Chahine, Jean-Pierre Jeunet, Philippe Faucon… Et comme le personnage de Jean De dans mon nouveau roman, je suis une fan de Pedro Almodovar dont j’ai regardé tous les films. Le loufoque, l’exubérance comme expression des fragilités humaines me touche à l’extrême.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut publier un livre ?

Ecrire n’est pas publier. C’est pour le seul besoin d’écrire qu’on devrait s’engager dans cette aventure. Si on est prêt à prendre le risque de ne jamais voir son texte publié, alors oui, il faut le faire. La publication vient après. Quand on a envie de rendre public cet univers qui sort de notre part la plus intime, il faut le confier à des éditeurs de livres d’auteurs dont on se sent appartenir à une même « famille ». Il faut alors faire confiance aux éditeurs, qui, en France, lisent réellement ce qu’ils reçoivent.

Quel regard portes-tu sur ton parcours ?

Un regard fluctuant selon mes doutes du moment. Parfois surpris, parfois détaché. J’appartiens à une famille de la classe moyenne marocaine, où seuls le savoir et la probité sont considérés comme un capital digne. Et on ne pouvait s’en sortir que par la voie de l’école. Cela m’a permis de toujours garder la tête froide. Quand je me retourne, je dis à l’enfant que je suis : « Poursuis sur ton sentier, même quand les paysages changent ou qu’ils s’avèrent hostiles. »

Le ciel sous nos pas, c’est ton premier roman. Peux-tu nous parler de cette aventure ?

Quand j’ai écrit ce livre, personne ne l’attendait. C’était un jaillissement. Une nécessité. Le ciel sous nos pas est mon premier roman mais ce n’est pas le premier texte que je publie. Je crois que mes premières expériences avec l’art de la nouvelle m’ont beaucoup aidée. Quand j’ai envoyé mon manuscrit par la poste, j’étais loin de penser qu’il intéresserait de grandes maisons d’édition. Quelques jours plus tard, j’ai été contactée par deux éditeurs, dont mon éditrice actuelle.

Pour la sortie du livre, tu as présenté ton livre dans des librairies en France et à l’étranger ?

Oui, avant la crise sanitaire qui nous prive de toutes ces rencontres. J’ai été invitée par des libraires et des Salons littéraires dans plusieurs régions de France. Au Maroc, mon pays d’origine, en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas…Je n’avais pas mesuré combien cette histoire avait un côté universel capable de résonner partout. J’aime les gens et espère que les rencontres reprendront vite.

Tu as reçu le prix Méditerranée premier roman en 2019 pour Le ciel sous nos pas. Comment as-tu appris la nouvelle ? Et comment as-tu vécu tout ça ?

Je l’ai appris par mon éditrice. Être reconnue, consacrée par un jury d’écrivains ou de lecteurs est un très beau cadeau ! J’y puise de l’énergie pour mes projets d’écriture.

Aimerais-tu que ton roman fasse l’objet d’une adaptation pour un téléfilm par exemple ?

Si mon style personnel, mon univers intéresse un réalisateur au point de vouloir se l’approprier pour une création cinématographique, j’en serais ravie !

As-tu des projets au Maroc avec l’écriture ?

Le Ciel sous nos pas est en cours de traduction au Maroc. Comme je co-dirige une association d’alphabétisation au Maroc, il me tarde de pouvoir y retourner car j’ai de nouveaux projets en tête en lien avec la littérature. En 2019, je suis allée plusieurs fois au Maroc rencontrer des lecteurs et des lycéens. Si tout va bien, je serai présente à Fès au mois de juin, dans le cadre du Salon Littératures Itinérantes.

Combien de temps as-tu passé à l’écriture pour Le ciel sous nos pas ?

Si je compte le temps de la rêverie utile, de l’écriture, et de la correction, je dirai deux années !

Ton roman La Théorie des aubergines est paru ce 3 mars. En apprenant à cuisiner, ils vont retrouver les saveurs de la vie. Pour les futurs lecteurs, tu peux nous en dire un petit peu plus ?

Un roman est un univers si ample qu’il m’est toujours difficile de le présenter en peu de mots. Ce livre-là raconte l’histoire de Dija, une rédactrice en agence de communication qui suite à un licenciement va rejoindre un projet original. Il s’agit d’une cuisine d’insertion qui réunit un groupe de personnes que la vie a malmené. Sous la houlette du Chef Achour – qui ne manque pas de répartie -, cette belle assemblée va non seulement apprendre à cuisiner mais surtout apprendre à se reconstruire. L’injonction constante à la performance m’a donné envie de creuser les fêlures personnelles, ce qui se joue aussi sur le plan émotionnel dans nos rapports au travail, et comment la solidarité peut-être une réponse à nos aspirations individuelles…

De quoi rêves-tu pour la suite ?

Continuer. Tout simplement. Ecrire des textes, les offrir à l’autre que je ne connais pas. Tous ceux qui acceptent d’embarquer dans mon monde. Si mon texte peut les aider, les divertir, les consoler ou les émouvoir, alors cela m’apporterait une satisfaction.


Les photographies de Leïla BAHSAIN