Auteur et scénariste
A propos de cette entrevue
Pour ce premier portrait de l’année, j’ai choisi un proche qui m’a toujours passionné. Sans le savoir, il a influé sur une partie de ma créativité. Son parcours est une source d’inspiration et un modèle dans l’écriture. Il a rencontré des artistes que j’admire. Sa créativité est puissante. L’écouter parler est une vraie réflexion en moi à chaque fois. Sa culture immense pour le monde des séries tv et en littérature est une vraie ouverture d’esprit.
Portraits réalisés le 15 janvier 2021.
Pourrais-tu te présenter ? Quel métier exerces-tu ?
Je m’appelle Eric Vérat. J’ai 49 ans. Je suis scénariste. Je travaille pour la télévision. Pour des fictions traditionnelles mais aussi en animation. Je développe aussi des projets à destination du cinéma. Ma dernière actualité c’est la création de la série César Wagner pour France 2.
Peux-tu nous présenter ton parcours professionnel ?
Après des études de journalisme et d’histoire, et après avoir exercé le métier de journaliste dans le monde des médias et du divertissement, je suis devenu scénariste il y une vingtaine d’années. En parallèle, j’ai continué à m’intéresser aux séries et j’ai eu l’opportunité de produire des séries d’émissions sur le sujet pour l’antenne de France Culture. J’ai aussi publié deux ouvrages toujours sur le sujet des séries. J’ai aussi travaillé brièvement dans le milieu du jeu vidéo. Rétrospectivement, je dirais que tout ce qui m’est arrivé n’est pas dû au hasard. J’ai fait confiance à mon imagination, mon sens de l’anticipation mais aussi de l’improvisation. J’ai fait des rencontres, j’en ai suscité d’autres. Des journalistes, des producteurs… Au début, tout ça me paraissait chaotique mais avec le recul, il y a toujours des choses logiques et évidentes.
As-tu toujours voulu faire ce métier ?
Je ne sais pas bien. Ce que je sais c’est que j’ai toujours aimé les mots. Il y a une parenthèse avec l’image au moment de l’adolescence. J’ai eu l’occasion de beaucoup tourner pas mal de petits films grâce à une caméra que me prêtait mon père. Aujourd’hui, les téléphones font mille fois mieux mais nous, on devait faire preuve de créativité pour que ça ressemble à quelque chose. L’idée de base était plutôt de devenir réalisateur. Mais avec une vision forcément très romantique de ce poste. Dans la réalité, je ne sais pas si un jour je passerai à la réalisation. Ça demande un investissement incroyable et aussi des qualités de direction, d’assurance de soi hors-norme, c’est pour ça que je préfère créer dans mon coin. Même si écrire des scénarios reste quelque chose de très collectif.
Que préfères-tu le plus dans ton métier ?
L’unicité de chaque projet. Les rencontres. Les plongées dans des mondes très différents. Le caractère à la fois solitaire et en équipe de chaque projet. Une certaine liberté (notamment quand ça marche).
Quels sont les livres qui t’ont le plus marqué ?
Il y en a beaucoup ! Mais disons qu’adolescent, Asimov (cycles Fondation et Les robots) a été une découverte intense. Plus tard, étudiant en journalisme les livres de Paul Auster m’ont façonné. John Irving aussi avec « Le monde selon Garp ». Plus récemment “De sang-froid” de Truman Capote et « Les Buddenbrock » de Thomas Mann. Mon livre de chevet restant “La rivière du sixième jour” de Norman Maclean. Un récit au coeur des forêts du Montana. L’histoire de deux frères. D’une amitié. De grands espaces. De pêche à la truite. Avec une des fins les plus bouleversantes de la littérature… Un exemplaire trône en permanence sur mon bureau. Et quand je ne sais pas quoi écrire, je relis les dix dernières pages. J’en ai la chair de poule…
Quels sont tes projets en cours ?
Je travaille à la suite de César Wagner pour France 2. Au moins trois épisodes. Sinon, j’ai des projets en développement. Un polar très social qui doit être bientôt présenté. Un thriller avec une mécanique de voyage dans le temps. Une histoire sur l’alcoolisme. Mais aussi une série policière dans le monde du hacking. J’ai aussi des projets dans le roman. Les journées sont trop petites.
J’ai du mal à y croire. Moi, le petit gars de Roche-lez-beaupré qui est parti discuter avec de grands producteurs à Los Angeles
Quelles sont tes passions ?
L’écriture. Les voyages. Et le dessin (appliqué uniquement aux voyages justement).
Peux-tu me donner des noms de personnes qui t’inspirent ? Et pourquoi ?
En télévision, l’auteur américain Steven Bochco, aujourd’hui décédé, a toujours été un guide pour moi. Ses séries ont brisé un plafond de verre à un moment, la fin des années 70, où la télévision était affreusement répétitive. Il a mis de l’humanité dans tout ça, de la folie et d’un point de vue des formats, il a remis au goût du jour le principe du feuilleton. Son pendant français, c’est l’immense Fréderic Krivine (créateur entre autre d’un village français et de PJ). Le romancier Paul Auster est un homme profond et complexe et qui dit des choses qui me parlent. Patti Smith, aussi, est une artiste avec une philosophie de pensée apaisante et apaisée. Ça fait du bien des gens comme ça. « Just kids », son premier roman est une pépite.
Dans quel lieu aimes-tu travailler (bureau, café, etc.) ? Et quel type d’organisation adoptes-tu ?
Je partage mon temps (hors période troublée comme aujourd’hui) entre ma maison (au moins quatre ou cinq endroits où je travaille) et des cafés. Tout dépend de la nature des écritures que j’ai à faire. Il faut être plus ou moins concentré, plus ou moins précis. Je fais beaucoup de listes. Mais bien sûr, je suis souvent en retard. Je dirais que dans mon bordel, je suis assez ordonné. Il y en a partout (y compris dans ma tête) mais je sais où je range les choses.
Quel est ton rapport avec les réseaux sociaux ?
Poli et distancié. Je n’aime pas ça par dessus-tout. Je comprends le principe d’y être pour exister (je ne parle pas des conséquences néfastes) mais j’ai du mal en voyant les gens y étaler leur vie, aussi pro que perso. Après, aujourd’hui, il est très compliqué de refuser d’y jouer un rôle même minime pour au moins pouvoir regarder ce qui s’y passe. Mais c’est souvent très frustrant. Et très vulgaire. Vulgaire dans le sens où c’est mal écrit, parfois très hors-sujet. Il n’y aucune distance. Les gens s’insultent. Je regarde Facebook et Instagram. Je n’ai pas voulu de Twitter car je pourrais me faire prendre et y rester des journées entières. C’est ce que doivent arrêter de faire tous les jeunes qui se sentent accro. Ce média est pervers s’il est mal utilisé.
Le conseil que tu donnerais à une personne qui souhaiterait devenir auteur/scénariste ?
Que c’est possible. Mais que ça demande des ressources insoupçonnées. Parce que avoir de l’imagination et un peu de style n’est pas suffisant. Il faut être un peu commercial, un peu diplomate, un peu entremetteur, un peu psy, savoir prendre sur soi. Les élèves que je suis au CEEA (conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle) arrivent avec un talent. Mais il ne suffit pas, il faut en plus travailler sa hargne, sa volonté et sa capacité à se vendre.
Quel regard portes-tu sur ton parcours ?
J’ai du mal à y croire. Moi, le petit gars de Roche-lez-beaupré qui est parti discuter avec de grands producteurs à Los Angeles. Qui a produit une série référence avec “L’Amérique en 24 épisodes” pour France-Culture. Qui fédère aujourd’hui entre cinq et six millions de téléspectateurs avec César Wagner. Mais bon, pour en arriver là, il y a eu beaucoup d’échecs aussi. Mais quand on croit à ce qu’on fait, se tromper c’est secondaire.
Tu es le créateur, avec Sébastien Paris, de la série César Wagner. Peux-tu nous parler de cette aventure ?
C’est une belle aventure. Qui a commencé il y a au moins cinq ou six ans. On avait écrit un projet pour Arte. Qui ne s’est pas fait et la personne qui a dit non au projet a fait une remarque sur le personnage (qui était secondaire) de flic hypocondriaque. On a donc commencé à tourner autour de cette idée. Très vite, l’idée que ça soit humain et drôle s’est installée. On a eu plusieurs producteurs. Mais c’est avec Edouard de Vésinnes que le projet a rencontré le succès. France Télévision a commandé un film à l’origine pour France 3 et bientôt, la façon de parler de nos personnages nous a dirigés vers l’Antenne de France 2. Gil Alma est une vraie découverte pour nous. Au départ, nous voulions quelqu’un de plus introverti avec un physique plus “banal”. Mais dès les premières scènes, on a su qu’on tenait notre César. Aujourd’hui, je ne vois pas comment ça pourrait être quelqu’un d’autre que lui. On va bientôt tourner le 4 et 5ème. Et un 6ème est en préparation.
5.4 millions de téléspectateurs pour le dernier épisode de César Wagner, ça fait quel effet ?
En vrai, avec les replay, c’est plutôt six millions. Ben, c’est toujours impressionnant de se dire qu’un français sur dix environ suit les aventures d’un personnage que tu as contribué à écrire. Après, pour nous le projet est toujours en décalage. Quand ça sort, on est plutôt dans les épisodes suivants ou dans l’attente d’un feu vert pour de nouvelles histoires. Donc, on ne se pose pas la question de quel effet ça fait. On sait que ça nous autorise à en écrire d’autres, c’est tout.
Combien de temps mets-tu pour écrire un épisode pour la TV ? Et pour César Wagner ?
Pas facile à dire. Disons que de la page blanche à un épisode tourné, peut-être un an. Un peu moins. Après l’écriture pure quand on a un sujet qui est choisi, et qu’on n’a pas d’autres commandes, on peut mettre trois, quatre mois pour tout faire.
Lorsque tu étais journaliste, tu as rencontré des personnalités publiques. Je me rappelle de cette interview avec Matt Le Blanc (le Joey de Friends). Pourrais-tu nous parler d’une interview. Et comment te préparais-tu ?
J’ai peu de souvenirs de tout ça. Mais j’ai effectivement rencontré pas mal de grands noms du cinéma. Disons qu’il y a un contexte déjà. Les press junket dans les grands hôtels pour la sortie d’un film où d’une série, c’est ce que j’aimais le moins. On a peu de temps et on pose un peu les mêmes questions que tout le monde. Mais parfois, il y a une étincelle entre l’intervieweur et l’interviewé et là, ça peut donner des bons moments. L’interview dont je me souviens s’est faite par téléphone. Bien avant que tout le monde l’encense, j’étais très fan du travail de David Simon (The Wire) et je pense avoir été le premier à l’interviewer pour cette série. Je me rappelle de sa joie au téléphone de faire la couverture d’une revue française. L’homme est un passionné, un intarissable et discuter avec quelqu’un comme ça, c’est vraiment du pain béni. On prévoit des questions. On se documente. On apprend des choses sur le bonhomme mais beaucoup de choses viennent au moment de la discussion. C’est de l’équilibrisme. Plus on connaît son sujet moins c’est difficile de relancer l’échange. Une interview dont je me souviens est celle de Go-Nagaï, le créateur de Goldorak. On s’était croisé dans un hôtel parisien. Je posais mes questions en Français à un traducteur qui parlait japonais mais ne le comprenait pas assez bien. Go-Nagaï répondait en italien à quelqu’un qui repassait en Français… Il faut être patient dans ces cas-là et souple. Deux choses qui me caractérisent un peu, je dois dire.
Où peut-on te retrouver sur le net ? (site, agence, insta etc..)
Sur le site de TIME ART l’agence de mon agent Ludovic Bottallo. Mais aussi sur Instagram @Themine71, un profil où je ne parle que télé, écriture et voyage. Mon compte Facebook est plus personnel.
Tu as écrit deux livres. Peux-tu nous en parler un peu plus ?
J’ai été publié pour deux livres qui ont pour thème les séries. Le premier est une oeuvre de jeunesse. Une monographie sur une série qui a été très importante dans ma formation artistique et esthétique des séries télé et même de l’art de la narration en général. La série s’appelle Clair de lune (Moonlighting en anglais), elle met en vedette un duo de détectives privés qui enquêtent à Los Angeles. Ils ne peuvent pas se voir et bientôt ils vont tomber follement amoureux. C’est cette série qui a fait connaître Bruce Willis, juste avant “Piège de cristal”. C’est écrit par une bande de fous furieux qui ne se prennent pas au sérieux, ont des références et une culture de folie et ne veulent pas faire de la télévision au sens où on l’entendait à cette époque. J’étais encore étudiant quand j’ai été publié. J’aimerais beaucoup réécrire ce livre. L’année prochaine, si j’ai un peu de temps… Le suivant est une oeuvre plus réfléchie. Un essai sur l’importance du générique dans les séries télé. Qu’il fasse 5 secondes ou 5 minutes, aucun choix n’est anodin. Et c’est ce que ce livre essaie d’analyser. Tout a un sens. Comme en écriture d’ailleurs.
Comment gères-tu les critiques par exemple sur les réseaux sociaux suite à un épisode que tu as écrit ?
Pour le retour sur les réseaux sociaux (mais aussi pour la presse) c’est compliqué de ne pas aller voir. Après, je n’ai jamais rien créé qui déclenche les passions (dans un sens comme dans un autre). Ce que je sais c’est qu’il faut accepter un certain niveau de critique. J’étais content que la presse encense ma série radio (L’amérique en 24 épisodes) diffusée en 2008 sur France Culture que j’avais écrite et produite. Il faut donc accepter qu’il puisse y avoir aussi des critiques négatives sur un autre projet.
De quoi rêves-tu pour la suite ?
D’une grande série, de quelque chose que j’écrirais seul (et pas en duo ou en atelier) mais surtout d’un roman. L’idée de ne pas avoir à penser au tournage et à toutes ses contraintes serait pour moi un joli cadeau. Par ailleurs, je ne désespère pas de refaire de la radio et d’écrire pour le cinéma.
Photographies d’Eric Vérat